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Anonyme: Il Corago, 1630

    Un texte anonyme italien des années 1640 sur la manière de monter un spectacle. Un chapitre consacré à l’usage des instruments, leurs fonction, leur disposition, leurs avantages et inconvénients.

    Il Corago o vero alcune osservazioni per metter bene in scena le composizioni drammatiche

    Editions Paolo Fabbri, Angelo Pompilio, Florence, Olschki, 1983

    Il Corago o vero alcune osservazioni per metter bene in scena le composizioni drammatiche est un texte anonyme sur la manière de mettre en scène un spectacele d’opéra. Il fut rédigé dans les années 1630, et son auteur pourrait être Pierfrancesco Rinuccini, fils d’Ottavio, le librettiste de Monteverdi, ou alors Ferdinando Saracinelli.

    La partie consacrée à l’usage des instruments est traduite ici:  p84

    Chapitre XIII: s’il vaut mieux des instruments à cordes ou à vent pour accompagner les actions chantées.

    Voici les arguments en faveur des instruments à vent:

    Premièrement, les anciens (…) utilisaient les instruments à vent comme les piffari et similaires comme l’atteste les inscriptions de leurs comédies où se trouve toujours au début l’indication « tibiis paribus et imparibus » mais où les instruments à cordes sont aussi mentionnés.

    Deuxièmement, les instruments à cordes sont malcommodes car on ne trouve pas de lieu bien proportionné pour les mettre en accompagnement des chanteurs, car si on les met à l’intérieur (arrière ?) de la scène, le chanteur ne les entend pas ni le public, sauf celui qui se trouve près de la scène. Ainsi à partir du milieu de la salle, la voix semble nue, ce qui est de peu de goût. Au contraire, si on met les instruments devant plus près du public que ne l’est le chanteur, alors l’oreille des auditeurs du devant, qui sont les personnes les plus importantes de la salle, est notablement offensée par l’attaque des cordes qui couvrent alors le chanteur. Et s’ils jouent plus légèrement, on ne les entend plus à partir du milieu de la salle. 

    Tandis qu’un orgue au contraire peut se mettre à l’arrière de la scène, sans interférer avec les machines et les décors; on peut aussi l’utiliser avec les registres ouverts ou fermés comme il semblera utile, ou avec les tuyaux du dessus couverts de sorte à ne pas offenser le chanteur la voix du chanteur, mais en se faisant entendre du public.

    Troisièmement: pour accompagner les voix, on estime d’ordinaire que l’orgue est le meilleur fondement; c’est pour cela que l’église l’a choisi et non pas seulement pour sa gravité sacrée; car on dit aussi que David chantait les psaumes sur la cetera ou la harpe. L’orgue est la pierre de touche des voix quand il a des tuyaux en bois et de toute façon les consonances sembleront plus délicates avec le son de l’orgue en bois et des voix qu’avec celui des instruments à cordes et des voix.

    Quatre: comme dans la basse continue l’instrument est fait pour être stable et constituer le fondement perpétuel des voix, il n’y a pas d’instrument au son plus ferme et avec un son durable que l’orgue. Les Instruments à cordes jettent un son qui s’enfuit et ils doivent ainsi toucher et rebattre en permanence, ce qui semble à plus d’une oreille, grossier et de peu de douceur. (…)

    Cinq: l’orgue tient bien l’accord au milieu du danger que représente la chaleur qui fait baisser la voix; les instruments à cordes ne tiennent pas le diapason: la chaleur baisse constamment la voix et finit par rendre languide et sans vie un passage pourtant vif et agréable. Ensuite les cordes cassent sans arrêt et on ne peut pas faire autrement que tâtonner sur scène pour accorder son instrument (…). Lorsque les instruments chauffent, certaines se désaccordent plus que d’autres ce qui finit par faire une dissonance sensible entre eux. Pour cette dernière raison, certains refusent obstinément les seuls instruments à cordes pour le continuo qui accompagne les chanteurs dans le style récitatif, les utilisant bien accordés d’abord comme partie des ripieni des choeurs et dans les sinfonie entre lesquels le chanteur vient se mettre sans que cela ne devienne pénible.

    Comme arguments contraires, en faveur des cordes, on peu dire:

    Premièrement: si la musique représentée sur scène est plus vive et active que ce qui est chanté à l’église ou dans une autre occasion, alors les instruments à corde peuvent détacher les accords, ce que ne fait pas le son continu de l’orgue. C’est pourquoi, dans les balli on considère la harpe comme la meilleure; ainsi quand la voix récite avec le mouvement de tous les membres, en suivant le mouvement rythmique, il est plus judicieux de choisir les instruments à cordes, surtout la harpe, qu’on appelle la reine des instruments non sans raison. C’est pourquoi à côté des anciens, on utilisait les instruments à cordes dans le théâtre à l’époque de Néron où la poésie et le chant étaient au sommet. Néron, qui s’estimait l’un des plus capable en cette matière a adopté la harpe, comme on le voit sur ses médailles et comme on le dit dans l’Histoire.

    (traduction qui suit, sous toute réserve). Certains disent pourtant qu’on utilisait des flûtes dans les comédies et les autres spectacles des anciens. A cela il faut dire qu’ils n’avaient pas encore un goût aussi raffiné pour le chant et qu’ils utilisaient des théâtres très grands où se pressait tout le peuple de Rome; c’est pourquoi ils ont adopté les piffari, car le son des instruments à cordes n’est pas aussi vif comme celui qu’on pourrait voir chez nos piffari qui jouent depuis le Castel Sant’Angelo quand viennent d’éminents cardinaux, et qu’on entend avec plaisir depuis très loin.

    (…)

    Deuxièmement, pour favoriser le goût et le mouvement approprié à l’action qui est chantée, le son tenu de l’orgue n’est pas aussi bon que l’arpègement (arpeggiare) avec grâce des instruments à cordes. En effet, comme l’acteur se déplace, ainsi le son ne reste pas toujours en place mais revient de saut en saut avec grâce et délicatesse dans un art particulier. En effet, comme chaque organiste ne sait pas forcément bien suivre le chanteur, les instruments à cordes ne savent pas forcément bien l’accompagner non plus. (…) Mais il est vrai que la base de l’accompagnement des voix, c’est l’orgue, car il est vrai qu’il est meilleur en toutes choses et que les cordes ne peuvent pas tenir aussi ferme que les touches.(…)

    Trois. Si l’orgue peut trouver facilement un endroit pour jouer en étant entendu de loin, celui qui en joue, s’il est au fond de la scène, peut difficilement voir le acteurs. Si au contraire on met l’orgue plus près des chanteurs, on se trouve dans une situation pire, où l’organiste ne peut quand même pas entendre la voix et force donc le chanteur à suivre l’orgue alors que cela devrait être le contraire. Pour cette raison, certains ont donné une place particulière sur scène à l’orgue, mais là il gêne les machines et le mouvement  des décors entre les scènes. J’ajoute, que comme l’organiste ne peut pas voir ni entendre les acteurs, il faut chanter en mesure, ce qui inconvenant pour le style récitatif.

    A ces raisons et arguments, on peut encore ajouter:

    Premièrement, que l’orgue ne convient pas aux danses qui sont spiccato, et pour toutes les autres choses qui ont un rythme frappé. Mais pour les choses tristes, qui parlent de mort ou de ce genre, l’orgue et les flûtes seront utiles.

    Deuxièmement: si on emploie des instruments à cordes, on fera en sorte que le son aille vers le haut et non vers le côté, car si la salle est grande, il faut jouer assez fort et alors les membres les plus éminents du public qui doivent être sur le côté de la scène ne pourront pas bien entendre le chant. C’est pourquoi on fera la barrière entre les instruments et les auditeurs bien grosse et fermée.

    Troisièmement: Qu’il ne faut pas mettre les instruments à cordes derrière la scène, car, comme ils sont nombreux, ils gêneraient considérablement le passage des récitants. En plus on ne les entends depuis toute la salle que s’ils jouent tous ensembles en choeur, ce qui est une chose à fuir quand on chante seul. En plus comme les instrumentistes et chanteurs ne se verront pas, il ne s’entendront pas non plus. C’est pourquoi certains ont mis des balcons par dessus la scène; mais lors des changements de scène c’est malcommode et le son des instruments ne se mélange pas bien à la voix. Mais ce qui est pire, c’est que le claveciniste, qui sera le seul à devoir s’adapter, ne verra pas le chanteur; alors, si la voix est faible, il ne l’entendra pas et il faudra battre la mesure sous peine de se mettre en danger d’être décalé. D’autres mettent les instruments au bord du bas de la scène en érigeant une barrière avec le public, mais cette solution a aussi ses inconvénients: pour que les spectateurs ne voient pas leurs cheveux des instrumentistes dépasser du bord de la scène, il doivent être très en dessous de la scène et ne peuvent donc pas voir les chanteurs. Enfin le parapet étant plus haut que le bord de scène, cela rompt la perspective visuelle et empêche qu’on voit les pieds d’un chanteur svelte, s’il se met en bord de scène, ce qui est dommage.

    Trois. Les instrumentistes occupent la plus belle partie de la salle dévolue au public et incommodent sévèrement par leur son les personnes du premier rang.

    D’autres, pour éviter ces problèmes mettent les instruments sur les côtés de la scène, hors de l’espace dévolu aux chanteurs, dans des balcons situés au même niveau que la scène. Afin de limiter l’empiètement et la gêne visuelle, les balcons sont en forme de triangle, la pointe tournée vers le public (.?.). Cette solution semble la meilleure, car la scène reste libre, les instrumentistes, au moins les principaux peuvent se mettre en situation de voir et entendre le chanteur, et cela enlève le moins de place possible au public et ne dérange pas les premiers rangs.

    Enfin, il faut se rappeler que si on veut mettre des instruments à corde sur ces balcons, il faut prévoir un passage vers l’arrière de la scène afin que les instrumentistes puissent aller s’accorder là-bas, car lorsqu’ils le font près du public, c’est désagréable.

    Enfin pour éviter que les instruments à cordes ne chauffent progressivement à cause de la lumière, je crois qu’on a encore rien trouvé d’autre que d’avoir les instruments doublés et d’en changer de temps en temps en sortant de scène. Enfin, le moins pire est encore de baisser de façon uniforme le diapason de tous les instruments à corde pour éviter des différences de hauteur. Mais, en mettant des orgues fermés (pour éviter de couvrir les chanteurs et pour permettre à l’organiste de les entendre) dans ces deux balcons, on permettra aux instruments de s’y conformer et de tenir le ton, ce que les clavecins ne peuvent pas faire.

    Traduit librement, de façon synthétique et sans grand respect du texte original fort bavard, avec des compétences limitées en italien par Yves Rechsteiner

    Décembre 2020

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