Une analyse pertinente pour savoir comment jouer la basse continue dans les cantates de Bach avec orgue obligé. Une foule de renseignements également sur les registrations d’époque.
In Basler Jahrbuch für historische Musikpraxis, volume IX, 1985
1. Introduction
La question de la basse continue a toujours été un sujet de discussion en musicologie, et la thèse récente de Laurence Dreyfus sur l’usage du clavecin dans la musique religieuse a ouvert de nouveaux échanges. Cette étude des cantates avec orgue obligé doit nous permettre d’étudier le matériel original, de lire les indications d’exécution de l’époque pour voir si nos habitudes d’exécution actuelles coïncident avec celles de l’époque de Bach.
1.1 Genèse des oeuvres
Dans le corpus des oeuvres religieuses conserves de J.S.Bach, 17 cantates portent une indication d’orgue obligé:
Adlung parle de ce genre en 1758:
“Hierbey wird bisweilen eine Traverse zu spielen vorgelegt, entweder in der linken, oder in der rechten Hand; entweder hat der Setzer es mit Vorsatz also beliebt, oder ein musicdirector hat an einem instrumente Mangel, und schreibt solche Melodie in den Continuo”.
“Ici on suppose qu’il faut jouer une Traverse dans la main gauche ou dans la main droite; soit que l’arrangeur l’ai préféré, soit qu’un directeur de la musique ait manqué d’un instrumentiste, pour écrire une telle mélodie dans le continuo”.
L’indication d’Adlung semble l’une des seules de l’époque sur cette pratique et il mentionne deux raisons différentes à l’usage de l’orgue obligé: une volonté délibérée et une situation de remplacement.
Bien qu’on ne connaisse pas l’origine de l’usage de l’orgue obligé, on peut ranger les cantates de Bach en 3 catégories:
– Transcriptions: sur 33 mouvements de cantates, seuls 9 existent dans une version avec une autre instrumentation. Dans ces 9 cas, c’est une version antérieure pour une autre instrument.
-Arrangement: à ces 9 mouvements, il faut ajouter 10 autres qui sont des arrangements de concertos instrumentaux antérieurs.
– Compositions originales: les oeuvres restantes doivent être considérées, à défaut d’autres motifs, comme des oeuvres originales.
Tableau B, nature de chaque mouvement (transcription, arrangement, composition originale)
Pour la datation, jusqu’à présent la seule recherche complète était celle de B.F.Richter de 1908, qui dataient ces oeuvres de 1731-32. Les recherches les plus récentes permettent d’établir une chronologie plus fine:
Tableau C: chronologie des exécutions des cantates avec orgue obligé.
(exécution avec orgue obligé/ date et lieu de composition originale/reprises ultérieures)
Contrairement à une ancienne génération de musicologues, les études plus récentes tentent de cerner les raisons extérieures ou musicales qui poussèrent Bach à utiliser l’orgue obligé, peut-être dans comme suite d’un développement d’une plus grande virtuosité instrumentale.
La concentration de ces cantates sur 1726 peut également avoir d’autres raisons, comme la mise en valeur d’un instrument particulier, par exemple. Il semble qu’au moins 5 cantates aient pu être jouées à St Nicolas à Leipzig, un instrument rénové en 1725. Deux cantates pourtant n’y ont pas été exécutées.
Bach aurait pu penser à un organiste particulier: son fils Wilhelm Friedemann ? un élève de Bach, un copiste ? Que Bach ait joué lui-même semble peu plausible. On pourrait même imaginer que BWV 169 pour orgue obligé et alto solo ait été écrit pour CPE (qui aurait chanté la partie d’alto) et WF à l’orgue.
La stimulation aurait également pu venir de l’extérieur: de Dresden, où il aurait pu entrer en contact avec des concertos de Vivaldi avec orgue obligé, ramenés par Pisendel. Bach a donné un concert d’orgue à St Sophie de Dresden en 1725. On y mentionne “diversen Concerten mit unterlauffender Doucen Instrumental-Music” (divers concertos avec une douce musique continue). Une pratique de l’orgue en soliste avec orchestre qui l’aurait inspiré pour les cantates ?
A partir de là on pourrait s’interroger plus avant sur les origines des cantates, mais je préfère étudier les conditions d’exécution: Le matériel conservé est très riche, et chaque cantate présente un cas de figure particulier. Dans un deuxième temps on tentera d’arriver à des conclusions plus générales en croissant l’étude des sources musicales et les textes du XVIIIème sur le jeu de la basse continue à l’orgue.
L’objet principal de cette étude concerne la manière d’exécuter ces oeuvres, en particulier du point du vue du continuo. Comment faire les accords, comment registrer, quels compromis ?
Une aide particulière nous vient de l’existence des parties d’orgue transposées. Pour chaque cantate normale de Leipzig on conserve trois parties, dont une transposées d’un ton vers le bas, ce qui lui permettait de faire jouer l’orchestre au Cammerton (415Hz) avec le grand orgue au Chorton (461Hz). A Mühleisen, Bach composait les parties des cordes à l’unisson de l’orgue (461Hz) et fournissait une partie transposée aux vents. A Leipzig il se conforme aux usages dont il hérite de Kuhnau: 86% des cantates de Leipzig ont une partie de continuo transposée au ton inférieur. Pourtant il existe aussi des parties de continuo non transposées qu’on peut supposer destinées au clavecin; deux cantates avec orgue obligé sont dans ce cas.
Tableau D: partitions originales, parties d’orgue et de continuo, transposition et chiffrage
(BWV partition/ parties d’orgue ou de continuo au ton de chambre (415Hz)/ parties d’orgue ou de continuo au ton de choeur (460Hz))
2. Sur la question du continuo
2.1 Les sources
D’après les sources, il apparait que Bach préférait l’orgue au clavecin comme instrument d’accompagnement. Cependant les parties d’orgue obligées représentent un cas de figure particulier qui nous interroge: l’organiste jouait-il le continuo dans la main gauche, avec la basse au pédalier ? arrangeait-il ? disposait-on d’un second clavier (clavecin) ?
Nous chercherons la réponse dans le matériel d’exécution; comme celui-ci est souvent lacunaire, nous nous aiderons des textes d’époque qui décrivent les modes d’exécution.
Le matériel d’exécution est analysé à partir des chiffrages et seulement pour le cantates ayant un matériel suffisamment complet pour pouvoir être pertinent.
A partir de là, on peut classer les cantates en 3 catégories:
– celles dans lesquelles l’organiste joue lui-même le continuo
– celles où un second clavier est présent
– celles où le continuo semble absent.
1. Le continuo est joué par l’organiste.
Dans toutes ces cantates il y a 3 cas, où il semble que le continuo pouvait être joué par l’organiste (sous toute réserve).
– La cantate BWV 71 Gott ist mein König (la plus ancienne des cantates) contient deux mouvements où des répliques solistes s’inscrivent sur un basse totalement chiffrée de bout en bout. Il faut remarquer que le style n’a rien à voir avec les parties virtuoses de certaines cantates de Leipzig.
– BWV 161, Komm, du süsse Todesstunde, où la partie de main droite est un Cantus Firmus simple accompagné d’une basse entièrement chiffrée. De plus la partition porte l’indication “Sesquialtera ad Continuo”, ce qui semble confirmer que la main gauche faisait les accords.
– BWV 73, Herr wie du willt, où la basse est également chiffrée. La partie de main droite remplace dans une version le cor et n’est pas d’une grande difficulté.
Dans d’autres cantates, on peut supposer la même pratique, même si les situations sont moins évidentes:
– BWV 194, Höchsterwünschtes Freudenfest: les airs 3 et 10 sont une version pour orgue de partie originales pour hautbois. La partie d’orgue n’est chiffrée que pour les récit, mais il semble peu probable que l’organiste n’est pas aussi joué l’harmonie dans les mouvements restants.
– BWV 63 Christen, ätzet diesen Tag; l’air du hast es wohl gefüget est aussi une adaptation d’un air antérieur pour hautbois. Cette nouvelle version de main droite a été copiée avec une basse de main gauche (autographe) et ajouté à l’intérieur d’une partie d’orgue transposée. Le matériel d’une exécution ultérieure contient une partie d’orgue “classique” chiffrée.
– BXV 47 Wer sich selbst erhöhet, présente une situation similaire. La première version contient deux airs pour violon, qui ont été attribué ultérieurement à l’orgue. La partie d’orgue de cette nouvelle version n’existe plus. Comme la version avec violon est accompagnée par une partie de basse continue à l’orgue, on peut supposer que lorsque l’orgue remplaçait le violon, il devait aussi chercher à faire l’harmonie.
– BXV 35 Geist und Seele wird verwirret, l’un des 5 airs est discuté plus tard. Il ne subsiste ni partie de continuo transposée, ni de partie d’orgue obligé. Cet air est devenu un pièce d’orgue dans le cycle des 6 chorals Schübler. Pourtant la texture instrumentale très exposée de cet air réclame un accompagnement d’orgue.
2. Le continuo est exécuté par un deuxième continuo
La continuo semble indispensable à l’exécution d’une cantate. Voici les exemples qui tendent à montrer la présence d’un deuxième continuiste:
– BWV 27 Wer weiss wie nahe mir mein Ende. Une première version semblait être pour clavecin concertant (partie non transposée, indication “clavecin”), une partie de continuo transposée étant jouée à l’orgue.
– BWV 169 Gott soll allein mein Herze haben, à part la partie d’orgue obligé, il existe une partie non-transposée de basse continue, chiffré. Cette cantate a été exécutée deux semaines après la cantates précédente, avec donc une inversion des rôles des claviers !. Une exécution ultérieure montre un matériel où les transition sans orgue solo ont été chiffrées; on peut en déduire que dans ce cas-là, un deuxième continuo était absent et l’organiste assumait seul la partie soliste et la réalisation du continuo.
– BWV 29, Wir danken dir, Gott, wir danken dir. C’est le cas le plus complexe. Il y a deux mouvements avec orgue obligé: le “preludio”, qui est une autre version du prélude de la partita en mi majeur pour violon, et l’air Hallelujah, Stärk und Macht. La partie d’orgue originale est transposée et contient tous les mouvements. Elle est entièrement chiffrée à l’exception des deux mouvements avec orgue. On en déduit logiquement que l’orgue joue le continuo tant qu’il n’a pas de partie soliste.
Il existe pourtant une seconde partie de continuo non transposée et chiffrée. Bien qu’on puisse supposer qu’elle ait pu être utilisée par une basse d’archet, il faut néanmoins penser qu’un deuxième clavier pouvait être joué en même temps que l’orgue. On pourrait supposer un cas similaire pour les cantates BWV 35/1, 5, 7, BWV 49/1 et 6, BWV 169/1 et BWV 188/1.
– BWV120a, Herr Gott, beherrscher aller Dinge. Bach y a réemployé le Prélude de la partita pour violon, mais sans les trompettes ou tambours. Pour cette cantate, il n’y a pas partie d’orgue, mais une partie de continuo transposée, chiffrée uniquement dans les parties d’orgue solo. Bien qu’on puisse admettre que le chiffrage n’ait pas entièrement été réalisé par manque de temps, on peut aussi imaginer que Bach avait deux orgues à disposition.
Deux oeuvres identiques (BWV29 et BWV120a) présentent donc un accompagnement au clavecin dans le premier cas, ou à l’orgue dans le deuxième cas, à moins que le continuo n’ait été complètement absent !
3. Pas de partie de continuo
Deux airs seulement:
- BWV170, Wir jammern mich doch die verkehrten Herzen . Le solo d’alto est accompagné par les deux voix de l’orgue et une basse des violons.
- BWV 172, Komm lass nicht länger: la version pour orgue reprend une version antérieure pour hautbois et violoncello). Dans celle-ci la partie de basse continue est marquee tacet: l’exécution de la basse continue n’est donc pas prevue.
En conclusion, on peut observer une importance du maintien du continuo, soit au clavecin, soit dans la partie d’orgue solo.
2.2 L’accompagnement à l’orgue dans les ouvrage pédagogiques du XVIIIème siècle
(Swanton s’intéresse à l’hypothèse qu’on joue l’harmonie dans la main gauche et qu’on met la basse au pédalier. Il remarque que la musicologie du XXème siècle préconise l’abandon du continuo dans les solos d’orgue et remarque les conditions d’exécution actuelles avec un positif qui ne permet pas le jeu avec le pédalier).
Le jeu du pédalier dans l’accompagnement est une pratique déjà attestée par Viadana. On trouve la mention du pédalier chez Adlung ou Schröter. Türk dit (Von den wichtichsten Pflichten eines Organisten, Halle 1787):
“Trägt auch das Mitspielen und Weglassen des Pedals zu diesem schnellen Abwechseln des Starken und Schwachen viel bey”.
“Le jeu ou le tacet du pédalier contribue beaucoup à la succession rapide de passages forts et doux”.
Les indications des passages où il faut abandoner le pédalier atteste bien de son usage régulier. J.S.Petri (Anleitung zur praktischen Musik, Leipzig 1782):
“Bey Diskant=und Altarien thut der Organist wohl, wenn er das Pedal ganz weglässt, so bald als der Sänger eintritt, und nur zu den Ritornellen und Zwischenspielen dasselbe gebraucht”.
“Dans les airs de soprano ou d’alto, l’organiste fait bien de n’utiliser la pédale que dans les ritournelles ou transition, en arrêtant lorsque le chanteur entre”.
Un autre cas est celui où la basse ne peut être rendue par la pédale. Dans ce cas, F.E.Niedt préconise (Musikalische Handleitung, Teil III, Hamburg 1717, p43):
“Und endlich bitte noch/bey den zweygeschwäntzten Noten das arme Pedal verschonen/ weil sonsten nichts anders/als ein verdriessliches Geklapper zu hören/und die sechzehnfüssige Stimmen nicht so deutlich ihren Thon von sich geben können/welches auch ein schlechter Orgelmacher=Geselle begreiffen und sagen wird/als zu welchem ich solchen Pedal-Quäler will hin verwiesen haben/sich dar raths zu erfragen/und seine üble Gewohnheiten zu verbessern. Um recht deutlich die Sache zu machen/will ich ein Exempel hier beyfügen/wie mam mit dem Pedal-Treten bey läuffigen Bässen und geschwinden Noten verfahren solle”.
“Et je dirai encore dans les double-croches d’épargner la pauvre pédale, sans quoi on n’entendra qu’un détestable bruit de touches. Car les seize pieds ne peuvent pas rendre leur son si distinctement, ce dont même un mauvais facteur d’orgue peut attester.(…) Pour rendre cela plus clair, je veux montrer un exemple comment traiter les notes rapides à la pédale:”
Lorsqu’on ne peut plus s’en sortir avec le pédalier, il reste possible de jouer la basse aux mains avec un 16’. Türk précise :
“Die sehr geschwinden (besonders laufenden) Stellen, welche man im Pedale nicht rund und ganz deutlich herausbringen kann, lässt man lieber weg, und spielt sie bloss mit der linken Hand…Durch ein oder zwey 16 füssige Register im Haupwerk kann man dem Basse doch die nöthige Tiefe und den gehörigen Nachdruck geben…Ausserdem muss man freylich, ohne einem hinlänglichen Grund, das Pedal nicht weglassen; hier war aber auch bloss von sehr geschwinden Stellen die Rede”.
“Dans les passages très rapides, qui ne peuvent être rendus de manière ronde et claire, on laissera la pédale et on jouera aux mains sur un ou deux 16’ du grand-orgue pour avoir la profondeur et la pénétration nécessaire. Il ne faut d’ailleurs pas abandoner la pédale sans raison valable: je ne parlais ici que des passages vraiment très rapides.”
Plusieurs auteurs conseillent d’ailleurs de tenir la pédale dans les recitativo, ce que C.P.E. Bach justifie ainsi:
“Bei einem Recitative mit haushaltenden begleitenden Instrumenten bleibet man auf der Orgel blos mit der Grundnote im Pedal liegen, indem man die Harmonie bald nach dem Anschlage mit den Händen aufhebet. Die Orgeln sind selten rein gestimmt, und folglich würde die Harmonie zu den erwehnten Recitativen, welche oft chromatisch ist, sehr widrig klingen”.
Dans un récitatif avec des instruments d’accompagnement, on reste sur la note fondamentale au pédalier pendant que les main qui font l’harmonie s’arrêtent. On fait ainsi car les orgues sont rarement accordées pur, et comme l’harmonie est souvent chromatique, cela sonnerait de manière désagréable.”
L’accord non tempéré des orgues aurait probablement gâté le “angenehme Säuseln der Violinen” (Schröter) (“le doux murmure des violons”). La tenue de la pédale donne malgré tout un repère de justesse aux autres instruments.
Si l’usage de la pédale est décrit partout, les auteurs varient sur la disposition de l’harmonie entre les mains. Ils recommandent aussi l’usage de plusieurs claviers.
Petri (p170):
“ Wenn aber die Orgel zwey Klaviere hat, so braucht er (der Organist) im Pedale bloss zwo sechzehnfüssige Stimmen, oder eine, wenn sie stark genug ist. Das achfüssige aber bleibt ganz weg; denn im forte kan er den Bass genug werstärken, wenn er mit der linken Hand auf dem einen Manuale spielt, wo er zwey achtfüssige Register gezogen hat, oder ein 8 und ein 16 füssiges. Mit der rechten Hand nimmt er die Akkorde immer auf dem schwächeren Klaviere, wo nur ein achtfüssiges Register gezogen ist…”
“Quand l’orgue a deux claviers, l’organiste met deux 16’ à la pédale, ou un seul s’il est assez fort. On ne met pas de 8 pieds, car dans le forte le pédalier renforce suffisamment la main gauche qui joue sur un clavier où il y a deux 8’ ou un 8’ et un 16’. Avec la main droite on joue toujours l’harmonie sur un seul registre de 8 pieds.”
Adlung décrit également un partage de l’harmonie entre les deux mains, si la pédale joue toute la basse. Il écrit (Anleitung, p 657):
“Man redete sonst auch viel vom getheilten Spielen; das ist, wenn die Mittelstimmen zum Theil mit der linken Hand gegriffen werden. Es ist dieses gar wohl thunlich, wenn die Noten durch das Pedal können ausgedruckt werden, dass beyde Hände auf einem Claviere bleiben. Aber bey geschwinden Bässen, so auf 2 Clavieren am besten vorzustellen, fällt diese Art zu spielen in die Brüche”.
“On parle aussi de jeu partagé lorsque les voix du milieu sont jouées par la main gauche. Cela peut se faire quand la pédale joue la basse, et que les deux mains sont sur un même clavier. Avec des basses rapides, comme on utilise deux claviers, on abandonne cette manière de faire”.
Dans ce contexte Adlung décrit encore la situation suivante, qui nous ramène aux cantates avec orgue obligé:
“Wenn die Directores aus Mangel anderer Adjunvanten die Flöten oder Hoboyen in den Continuo schreiben, so ists ihnen endlich zu vergeben; nur ist es schlimm, dass ohne 3 Claviere solches nichts allzeit wohl geschehen kann, zumal, wenn die Bassnoten mit den Füssen nicht wohl zu machen sind”.
“Quand le directeur musical, par manqué d’instrumentiste (flute ou hautbois) met ces parties dans le continuo, alors il est mauvais de ne pas avoir au moins 3 claviers, si la basse n’est pas à la pédale.”
Il faut comprendre ce texte ainsi: un clavier est pour la basse, un autre pour l’harmonie, un troisième pour le solo.
Schröter décrit deux solutions similaires, que sont examinées plus loin.
2. 3 L’utilisation par Bach de plusieurs claviers et pédale
Les parties originales de cantatas contiennent quelques indications de clavier.
- BWV 72, aria 2, la partie d’orgue solo est marquée: “positivo”. L’indication peut impliquer le jeu de l’harmonie sur un autre clavier. L’exécution de cette cantate a eu lieu à Mülheisen, dont l’orgue est décrit chez Adlung.
- BWV 73. Les indications dynamiques des cors ont été reportées dans la partie d’orgue avec les indications “R/pos” et “BP”. On peut supposer que la réalisation se faisait aussi sur le Brustpositiv.
- BWV 161 contient l’indication “Sesquialtera ad Continuo”.
- BWV 170, arie 3. “Organo oblig. à 2 clav.”
- BWV 194. Les indications dynamiques des parties originales du hautbois sont reportées, avec deux mentions de “solo”. Tout ceci atteste de l’usage de plusieurs claviers. Il y a un passage sembables dans la cantate BWV 35.
- Dans les cantatas 146 et 188, les parties solistes de l’orgue sont notées une octave plus bas que l’original. Comme il faut probablement jouer en 4’, l’usage de plusieurs claviers est indispensable
Les indications de jeu de la pédale sont malheureusement insignifiantes dans les cantates de Bach: BWV 80: “Orgelbass Posaune 16 Fuss”.
2.4 Essai d’une classification des cantatas en fonction des aspects pratiques d’exécution
On a vu dans les paragraphes précédents divers modes de jeu de l’orgue, qui nous permettent d’envisager un classement des cantates dans différentes categories:
- Jeu en trio, avec le solo au positif, l’harmonie dans la main gauche et la basse à la pédale. Le niveau de jeu est aussi complexe que dans les chorals Schübler BWV 645, 648, 649. Dans l’arie Gott hat alles wohl gemacht, BWV 35, il faut jouer le solo avec la main gauche (clé de fa) et donc l’harmonie dans la md.
(suit une réfutation des arguments d’Harnoncourt dans ses enregistrements pour l’abandon du continuo)
- Jeu avec la pédale simplifiée, comme le décrit Niedt. (tabelle E); Les oeuvres concernées sont les mêmes que dans la catégorie 3.
- La main gauche joue la basse sur un clavier. Comme Adlung le dit, la main droite joue le solo sur un autre clavier, et pendant les pauses de celui-ci, reprend l’harmonie sur un troisième clavier. Cette solution semble optimale dans la Sinfonie d’ouverture de la Cantate 35. Le vide harmonique des passages solo peut avoir motivé les solutions de double continuo que Bach a utilisé dans les 29, 169, et 27, où l’orgue fait le continuo du clavecin.
Türk dit encore:
“Ob ich gleich weiss, dass ein geschickter Organist sehr viel mit dem Pedale ausführen kann, so möchte ich doch kennen, welcher z.B. die Stelle in Grauns Tod Jesu O Sonne fleuch u. oder die beyden Rezitative in der gedruckten Passionskantate von Homilius Seht, wie Jerusalem u. und Zerreisse, Golgotha u. mit den Hände und Füssen zugleich all unissono in der gehörigen bewegung ganz deutlich herausbrächte.
Wollte man aber aber einem solchen Laufer mit dem Pedale allein machen, so würde, wenn er auch glückte, dadurch mehr verloren, als gewonnen”.
“Même si je sais qu’un organiste habile peut jouer beaucoup de choses à la pédale, je voudrais pourtant bien connaître celui qui est capable de jouer (…ut sopra cit.) avec les mains et les pieds à l’unisson dans le bon mouvement de façon claire. Voudrait-on faire cela seulement à la pédale qu’on y perdrait plus qu’on n’y gagnerait !”.
- Les mouvements déjà cites où le continuo est absent.
3. La registration
3.1. Les indications de Bach lui-même
Spitta décrit au XIXème siècle l’orgue comme partie importante du corps sonore des cantates. Le traitement d’extraits de cantates en pièces d’orgue souligne la parenté entre l’orgue et l’univers de la cantate.
Les indications de registrations (“Sequialtera”, “Posaune”) sont rares mais bienvenues. La Sesquialtera est d’ailleurs également réclamée par Bach dans la Passions selon St Mathieu.
Adlung dit à ce sujet:
“Ich weiss aber, dass die mehrsten glauben, es könne keine Orgeltraverse anders, als in der rechten durch die Sesquialter vorgestellt werden”.
“Je sais que la plupart croient qu’on ne peut pas faire à l’orgue d’autre jeu de traversière que celui de la sesquialtera”. (note de traduction: je suppose que Orgeltraverse doit s’entendre dans le sens d’une imitation de la Flûte traversière à l’orgue)
Les sources ne mentionnent pas d’autres registrations. L’indication “tutti e animoso” de BWV 71 peut suggérer une couleur. Les transcriptions de BWV 146 et 88 suggérer une octaviation en 4’, comme il le fait dans ses transcriptions d’oeuvres de Vivaldi.
Par ailleurs, on connait précisément les lieux d’exécution de nombreuses cantates, Mühlausen, Weimar, Nikolaikirche et Thomaskirche de Leipzig. Il convient donc de regarder les dispositions des orgues correspondantes.
L’air de Basse: Batrachte meine Seele de la passion selon St Jean porte l’indication “wird auf der Orgel mit 8 und 4 Fuss Gedackt gespielt”.
Du rapport de réception de l’orgue de Divi Blasii à Mühlausen, on sait que Bach voulait pour l’accompagnement de la Music:
“stillgedockt 8 f., so da vollkommen zur Music accordiert, und so es von guthem Holze gemacht wird, viel besser als ein Metallines Gedockt klingen muss”.
“Le stillgedackt 8’ qui s’accord de manière parfaite à la musique. On le fait en bon bois, ce qui sonne bien mieux qu’un bourdon en métal”.
3.2. Les indications de registrations des théoriciens du 18ème siècle.
3.2.1. L’accompagnement
Le Brustpositiv est le clavier de préférence pour l’accompagnement par son emplacement de proximité avec le choeur et l’orchestre. Une basse active demande un autre clavier en plus. Selon Petri l’orgue servait à “zur Füllung der Harmonie durchs Akkompagnement, und zur Verstärkung des Basses” (au remplissage de l’harmonie et le renforcement de la basse).
L’utilisation du Stillgedackt préconisé par Bach n’est donc qu’un point de départ; on se servait d’autres registres suivant la nature des pièces accompagnées.
L’ouvrage de Niedt (Musikalische Handleitung), publié en deux fois (première partie, Hamburg 1700) fut utilise par Bach pour son enseignement. Il y est dit, p111 et suivantes:
“Gedact/feil gedecket/ist ein Werck in Orgeln/von 16/8 und 4. Fuss/davon das achtfüssige am bequemsten zum General=Bass bey der Music ist. Es ist bisweilen von Holz/bisweilen von Zinn/nur allemahl oben zugedecket. Etliches dieser Art wird Grob= und still=gedackt genennet/weil es stiller und gröber lautet/als das andere.”
“Bourdon. Est un jeu d’orgue en 16, 8 ou 4 pieds. Le 8’ est le register le plus confortable pour la basse continue dans l’accompagnement. On le fait en bois ou en metal. On les appelle “gros bourdon” ou “bourdon doux”, suivant leur son.”
“Wenn nur eine oder zwo Stimmen singen oder spielen/so brauche er (der Organist) im Manual bloss das Gedact 8 Fuss/und kein Pedal überall nicht; sind mehr Stimmen zu accompagnieren/so kan er im Pedal Untersatz/oder Subbass 16 Fuss/mit dazu anziehen; wo aber ein Tenor, Alt oder Discant-Zeichen stehet/welches man sonst ein Bassetgen nennet/so muss er das Pedal weglassen/und die Noten eben in der Octave spielen/wo sie geschrieben stehen; hergegen/fällt ein gantzer Chor von 8/12 oder mehr Stimmen ein/(wie dann in solchem Fall der Ort meistentheils mir den Wörtern Chor/tutti, ripieno, etc bezeichtnet stehet) alsdann kann im Manual das achtfüssige Principal, und im Pedal/zum sub-bass/noch ein Octava von 8 Fuss gezogen werden. Ist ein Stück mit Trompeten und Pauken gesetzet/so wird im Pedal/zur achtfüssige Octava, ein Posaunen=Bass von 16. Fuss gezogen; die Töne Müssen aber nicht bey gantzen oder halben Täcten ausgehalten werden/sondern man darff sie nur ansprechen lassen”.
“Quand on accompagne une ou deux voix, on met le bourdon et pas de pédale. S’il y a plus de voix, on peut ajouter la Soubasse de pédale. S’il y a une clé de tenor, alto ou soprano, il faut arrêter de jouer la pédale et ne jouer la basse qu’à la hauteur où elle est écrite. S’il y a un choeur complet de 8/12 voix, ou plus encore (ce qu’on note en choro, tutti, ripieno, etc…), on peut mettre un principal de 8 au clavier et ajouter une octave de 8 à la pédale; s’il se présente des trompettes et timbales, on peut ajouter à l’octave 8’ de la pédale une bombarde de 16’; les notes ne doivent alors pas être tenues, mais juste attaquées”.
On notera la registration de J.B.Samber (Salzburg 1707): pour l’accompagnement de nombreuses voix, au pédalier: Subbas 16, Fagot 8 ou Octav 8, Quinte 5 1/3, Posaun 8.
Les indications de Niedt correspondent parfaitement aux indications conservées de Bach.
Plusieurs auteurs proposent de préparer deux claviers avec deux niveaux de dynamiques, pour pouvoir changer rapidement. Praetorius le dit déjà en 1619 (livre III, p 138).
En 1666, M.Hertel:
“Bey den Concerten aber ist dieses zu observieren, das man allezeit, es sey ein Concert von 1, 2, 3, 4 oder mehr stimmen, das eine Clavier ganz linde, und mehr nicht als etwa Gedackt 8 f., das andere Clavier aber, wann in der Concert Capellen, Ritor, Ripieno, tutti oder Omni, vorhaanden, welches gemeinlich in den Gen. Bässen mit dabey gestzt wird, starker, und etwa 2 oder 3 stimmwercke als Principal 8 f, Quintadehn 8 f., Kleingedackt 4 f., ziehe, so kan man also bald bon einem Clavier aufs ander fallen, welches sonsten in mangelung zweyer Clavieren sehr beschwerlich fället, wann man die Register aus un einziehen und stecken mus, man auch gar leichtlich einen fehler begehen kan, wan die Gedancken und Augen bei den Registern sein sollen…”
“Dans les concerts à 1, 2, 3, 4 ou plus de voix, il faut observer de tirer sur un clavier quelque chose de très doux, comme un bourdon de 8’, mais dans les passages de tutti avoir un autre clavier plus fort, avec par ex. le principal de 8, Quintaton 8’, et petit bourdon de 4’. Si on a pas deux claviers, il faut alors tirer et pousser les jeux de manière fastidieuse, et on fait facilement des fautes parce que les yeux et la tête sont occupés à tirer les jeux”.
Un siècle plus tard, Türk (p151-152):
“Die Ritornelle und Zwischensätze in den Arien, Duetten u. erfordern verhältnissmässig eine stärkere Begleitung, als die Solostellen; das heisst, wenn im Ritornelle forte stehet, so muss dieses forte, starker gespielt werden, als wärhrend einer Singpassage. Da nun der Organist unter der Musik selbst nicht immer Zeit genug hat, einige Register herauszuziehen, oder Andere hineinzuziehen, so muss er vorher das Werk schon so gezogen haben, dass er die Ritornelle, die Chöre, den Eintritt des Fugenthemas, die starken Stellen im Einklange (all’unissono), dem Hauptwerke, die halbstarken und ganze schwachen Solostellen u. aber, in verhältnissmässiger Stärke, auf einem der anderen Klaviere spielen kann.
Wer nur ein Klavier hat, und noch über dies den Bass allein spielen muss, der dürfte das Werk überhaupt nur mitellmässig stark ziehen; oder er könnte z.B. beym Schlusse des Ritornells mit einer Hand pausiren – wenn im Stücke selbst keine Pause eintreten – und indess den Bass mit der Andern und dem Pedale allein fortspielen, bis er etliche Register hineingestossen hat; denn es ist immer besser, nur einige Täckte nicht vollkommen gut, als den grössten theil eines Stückes – schlecht zu begleiten”.
“Les ritournelles et transitions des airs et duetti exigent un accompagnement plus fort que les passages chantés. (…). Si l’organiste n’a pas le temps de tirer ou pousser les registres, il doit avoir préparé l’orgue pour jouer les tutti (…) sur le grand-orgue, et les passages moins forts ou doux pour les soli sur un autre clavier. Celui qui n’a qu’un clavier peut accompagner sur une sonorité de force moyenne. Il peut aussi à la fin de la ritournelle faire une pause (si la musique n’en comprend pas déjà) et continuer de jouer avec la main gauche et la pédale pendant qu’on repousse les jeux. Car il vaut toujours mieux ne pas jouer de manière parfaite quelques mesures, que de tout jouer mal.”
On trouve dans l’entourage géographique de Bach des indications intéressantes. Pour l’orgue du château d’Altenburg que Bach a plusieurs fois joué, la facteur d’orgue Trost suggère pour l’accompagnement de la Music: viola di Gamba 8 et Gemshorn 4’, Nachthorn 8 et Lieblich Gedackt 4’, Flaute travers 16 et Spitzflöte 8’.
La plupart des théoriciens recommandent d’examiner l’importance de l’effectif qu’on dit accompagner. Ainsi Adlung (p171):
“Bey einzelnen oder wenig Stimmen kann das Gedackt 8’ oder Quintatön 8’ genug seyn…
Wer aber nur ein Clavier hat, der muss den Subbas im Pedal mit dazu nehmen, welcher auch den Violon, oder die Oktave 8’ bey sich haben kann, oder wenigsten noch ein Gedackt, es sey denn, dass das Manual=gedackt auch ins Pedale gehöre…Wenn aber mehr Stimmen oder gar der ganze Chor musicieren; so kann man das Principal dazu ziehen…Wo ein Clavier ist, das muss der Organist die Register gar oft im Ziehen verändern. Wo aber zwey Claviere vorhanden, da kann man in dem einen das Gadackt haben, in dem Anderen aber das Principal 8’ oder 16’ und noch (wenn man will) den Bordun, oder Quintatön, oder dergleichen dabey, damit man gleich hinauf fahren und stärker spielen könne…
“Pour une ou deux voix, le bourdon 8’ ou le Quintaton 8’ suffit. Celui qui n’a qu’un clavier doit aussi tirer la Soubasse de pédale avec un violon, octave de 8’ ou au moins un bourdon à moins de mettre la tirasse. S’il y a plus de voix, on peut ajouter le principal au clavier. Si on a qu’on clavier, il faut changer les registres souvent. Si on a deux claviers on peut mettre le bourdon sur l’un, le principal de 8’ ou 16’ sur l’autre avec encore si l’on veut le bourdon ou Quintaton, pour pouvoir ainsi jouer plus fort.”
Plus loin Adlung suggère de jouer la fin d’une pièce avec le Volle Werk:
“Zum Beschluss des Stückes geht es am vollstimmigsten; also spielt man auch am schärfsten auch wol mit vollem Werke, sonderlich auf unsern Dorfkirchen”.
“A la fin d’une pièce, si c’est là qu’il y a le plus de voix, on peut aussi jouer le plus fort avec le plein-jeu, spécialement dans les églises de village (?)”.
Petri est d’un avis contraire:
“Alle Rohr= und schnarrwerke, und gemischte oder schreyende Stimmen, als Mixturen, Zymbeln, Quinten, Sexten u. müssen bey der Music ganz weg”.
“Dans la Music, il faut éviter toutes les anches ou registres aigüs, comme les mixtures, cymbales, quintes ou sixtes…”.
Petri prend également en compte l’acoustique du lieu:
“Wenn die Kirche und Orgel klein ist, und also der Schall bald ausfährt, ists genug, ein achtfüssiges gedacktes, oder, wenn es zu schwach gearbeitet ist, zwey achtfüssige Register im Manuale zu nehmen, und im Pedal ein 16 füssiges, oder wenn sie nicht zu stark sind, zwei: und höchstens noch ein achtfüssiges Principal zum forte, und zum äussersten forte noch ein 4 füssiges Principal, welches jedoch besser wegbleibet, es ware denn, dass gar keine Violons, Violoncelli, und Fagotts mitspielen, und der Organist den Bass allein machen müsste, wie auf dem Lande, da dem Organisten ein mehreres frey steht. Und Dennoch, wenn der Sänger anfängt, oder die Musik, sonst piano sein soll, muss er auch das achtfüssige Register hineinstossen, damit der Bass nicht die piano spielenden Geigen, Flöten, u. überschreye. Desgleichen soll ein Organist die Akkorde und Töne kurz abziehen, und sonst nie liegen bleiben auf denselben, ausser wenn er eine lange Note aushalten soll, wo eine tenute darüber steht, oder eine lange Note im Recitativbasse.”
“Si l’église et l’orgue sont petits, que la résonance est courte, il suffit de mettre un Bourdon de 8’. S’il est trop faible ou mettre deux registres de 8’. A la pédale, on met un 16’, et s’il ne sont pas trop fort, deux. On peut éventuellement ajouter un principal de 8’ dans les forte, ou dans les passages les plus forts un principal de 4’, qu’il vaut mieux ne pas mettre s’il y a des contrebasses, violoncelles ou bassoons, mais qu’on peut mettre à la campagne où l’organiste est plus libre. Lorsque la voix entre, il faut repousser le 8’ de pédale pour ne pas gâter les violons et les flûtes qui jouent piano. De même, il doit jouer les accords en les lâchant vite, et ne tenir les sons que les indications tenuto, ou sur un longue note de basse de récitatif.”
On remarque le conseil de Petri de jouer courts les accords et la pédale, pour plus de transparence.
Aux remarques précédents, Türk ajoute encore:
“Nicht bloss nach der Bezetzung, sondern auch nach der besondern Art von Tonstüscken und der dazu gestezten Instrumente selbst, hat sich der Organist in absicht der stärkern oder schwachern Begleitung zu richten. Chöre, Fugen, oder gewisse Sätze, in welchen der Bass etwas vorzügliches auszuführen hat, erfordern allerdings, im Ganzen genommen, eine vollere, durchdringendere Begleitung, als Arien, blos erzählende Rezitative u.d.gl. Zu Trompeten und Pauken zieht man starke, zu Fagotts, Flöten u. schwache Register…Auch der Inhalt einer Musik bestimmt hierin viel. Ein Te Deum, etc…Gloria, etc…Magnificat, u.d.gl. kann lebhafter, starker und in Absicht der Lage etwas höher begleitet werden als ein Kyrie, etc, Misere, etc…ein Busspsalm, eine Trauermusik, und ähnliche Stücke, wobey man am besten tiefe und gedeckte Stimmen gebraucht”.
“L’organiste doit adapter son accompagnement non seulement à l’effectif, mais aussi à la nature des pièces et des instruments qui sont prévus. Les choeurs, fugues, etc…où la basse est généralement plus présente, exige globalement un accompagnement plus plein et pénétrant que des airs ou des récits très parlants. Avec les trompettes et les timbales on mets des registres forts; avec les flûtes et bassons, des registres faibles. Le contenu des pièces est également important: les Te Deum, Gloria ou Magnificat sont accompagnés plus vivement, plus forts et plus hauts que des Kyrie, ou Miserere. Un psaume de pénitence ou une musique funèbre exige plutôt des jeux graves et bouchés.”
Plus loin:
“Eine Diskantarie darf nicht so stark begleitet werden, als eine majestätische oder donnernde Bassarie”.
“un air de soprano ne doit pas être accompagné aussi fort qu’un air de basse tonitruant”.
On remarque que l’augmentation de la force se fait toujours pas l’ajout de jeux de fonds de 8 ou 4’. Le soutien attendu s’obtient pas l’augmentation du son fondamental.
Des pratiques similaires se trouvent chez Vivaldi et Haendel.
Vivaldi Jucundus homo, RV 597: “Tutti gli Organi con principale e flautino”.
Händel, concerto pour orgue Opus IV, n°4: “Open diapason, stopped diapason, Flute”).
Alexanders Feast: “Open Diapason, Principal, Stopped Diapason, Flute).
(suite réfutation des choix musicaux à la base de la construction des orgues positif de continuo).
3.2.2 Les basses obligées
Les indications d’une registration de solo se produit fréquemment dans les basses courantes ou obligées. Türk rappelle que souvent l’organiste est oblige de jouer la basse tout seul par défaut d’autre instrumentiste. On trouve des registrations pour ces cas-là.
Adlung:
“Etliche Stimmen schicken sich besser zum laufen, als zum langsam spielen; andere kehren es um;”
“ certains jeux se prêtent mieux à ce qui bouge, d’autres au jeu plus lent; certains inversent ces jeux. (?)”
“Also spiele man entweder den Registern gemäss; oder man ziehe die Register dem Spielen gemäss”.
“Ou bien on joue en fonction de la nature des registres, on bien ou tire ceux-ci en fonction du jeu”.
Adlung donne les indications suivantes pour une basse courante (Anleitung, p488):
“Wenn die Bassnoten von der Beschaffenheit sind, dass sie füglicher auf dem Hauptmanual mit der linken Hand gespielt werden, ist mehrentheils die Quintatön 16 F. oder der gleichgrosse Bordun gebrauchlich, welche Stimme man verstärckt bald durch Principal 8 F. bald durch eine Octave, zumal wenn mal Staccato spielet, wobey aber eine stille 8 füssige Stimme billig den weiten Raum, sonderlich zwischen 16 und 2 F. ausfüllen soll..
“Salicet…sey eins der artigsten Register, und lasse sich zu einem laufenden Basse mit dem grossen Principal 16’, Octave oder Violgambe 8’ gar wohl gebrauchen…”
“lorsque une basse est de nature à être jouée sur le grand-orgue avec la main gauche, on prend la plupart du temps le Quintaton 16’ ou un bourdon de la même taille, que l’on renforce par un principal de 8’ ou par une octave si on joue staccato. Un 8’ tranquille remplit le vaste espace entre le 16’ et le 2’…
Le Salicet est un registre particulier qu’on utilise volontiers avec le gros principal de 16’, l’octave ou la Viole de gambe de 8’ pour les basse courantes…”.
Pour une basse obligée, Adlung nous dit:
“so viel möglich nach solcher Stimme, welche man vorstellen soll, es sey nun vor die linke Hand ein obligat Violoncell, oder Fagott, oder sonst etwas. Hier kann 16 Fuss auf dem Manual wegbleiben, dass ein Unterschied sey zwischen dem wirklichen Basse der Pedals, und zwischen solcher laufenden Stimme. Bisweilen ist ein 8 oder 16 füssig Schnarrwerk vorhanden, wodurch der Fagott am besten vorstellen lässt; wo aber nicht, muss man ziehen, wie man kann, und nicht wie man will…”
“Dulcian..ein etwas schwaches Schnarrwerk…und wenn diese Stimme nicht allzugross ist, lässet sie sich auch in den 2 unten Octaven des Manuals zu obligaten Bässen wohl brauchen. Der Name Fagott ist zither mahr gewöhnlich…”
“On imagine qu’il faille imiter avec la main gauche un violoncelle, un basson ou autre chose. On peut laisser le 16’ de côté au clavier, pour bien distinguer ces basses roulantes de la vraie basse à la pédale. Si on a un jeu d’anche de 8 ou 16’, on le prend; le basson s’y prête le mieux. Là où on en a pas, on fait comme on peut, pas comme on veut…
Dulciane: un jeu d’anche, qui, s’il n’est pas trop gros, sert pour les basses obligées dans les 2 premières octaves. Aujourd’hui le nom de basson est plus courant…”
L’utilisation d’une Dulciane pour les basses des cantates 35 (mv 4) et 172 (mv 5) est à recommander. La balance est réussie avec la Sesquilatera du dessus.
Bach lui-même aimait le Fagot 16’ , puisqu’il le suggère pour Mühleisen en 1708 pour la Music:
“Was anlanget das Obermanual, so wird in selbiges anstatt der Trompette (so da heraus genommen wirdt) ein Fagotto 16 Fussthon eingebracht, welcher zu allerhandt neüen Inventionibus dienlich, und in die Music sehr delicat klinget”.
“pour le grand-orgue on mettra à la place de la trompette (qu’on enlève) un basson de 16’, qui est très utile pour toutes sortes de nouvelles inventions, et sonne très délicatement dans la music.”
En 1727, Walther en parle de la même manière à Berlin, en ajoutant:
“in der Musik zu laufenden Bässen nebst Zuziehung einer andern Stimme schön zu gebrauchen”.
“dans la music avec des basses roulantes, il convient bien, accompagné d’autres registres”.
Cette remarque atteste de l’ajout d’autres jeux pour clarifier l’attaque des jeux d’anches.
Une jolie anecdote est conservée au Temple neuf de Starsbourg en 1756:
“Die Kirch profitiret bey dem neuen Register so Herr Silbermann gratis verfertiget dieses dass man ins künfftige keinen Fagotisten (s.basson) mehr nötig hat, indem diss Register bey der Music statt desselben kan gebraucht werden; folglich erspart die Kirch jährlich 2 Louis d’or”.
“l’église profite du nouveau jeu de basson de Monsieur Silbermann et peu ainsi s’économiser les services d’un bassoniste, car le registre remplace ce dernier dans la music. L’église économise ainsi 2 louis d’or par an”.
3.2.3 Les dessus obligés
Les cantates de Bach exigent souvent des solos de dessus. Les textes anciens ne sont pas très prolixes à ce sujet, mais on peut citer en détail encore Adlung et Schröter:
Adlung:
“Noch öfter hat die rechte Hand eine obligate Stimme mit zu spielen, und man muss aus den Umständen urtheilen, was sich dazu schickt. Mehrentheils ist eine scharfe Stimme nöthig; aber wenn die Noten weit unter das c eingestrichen steigen, lasse man die Quinten und Tertien, folglich auch die Sesquialter und dergleichen weg. Bisweilen ist es vor die Glocken gesetzt, oder die Melodie lässt sich sonst dadurch gut ausdrücken. Bisweilen schickt sich ein Principal, oder einige Flöten; wobey man auch das Abwechseln nicht zu vergessen hat, zumal, wenn mehr Arien mit dem obligaten Clavier zu spielen sind…
Das Glockenspiel nehme ich selten zu solchen obligaten sachen, wenn gleich die Setzart solches leiden würde, weil es eben nicht unrecht, durch etwas besonders die Festtage herrlicher zu machen, als andere gemeine Sonntage…”
“Encore plus souvent il faut jouer un dessus avec la main droite et on doit estimer selon les circonstances les jeux qui s’y prêtent le mieux. Souvent il faut un registre perçant; mais si la voix monte en dessous (sic !) du do du milieu, on évite les quintes, tierces et aussi la sesquialtera. Parfois cela est prévu pour les cloches (Glockenspiel) et la mélodie est bien rendue ainsi. Parfois c’est un principal ou des flutes qui conviennent mieux; là il ne faut pas oublier les changements de claviers quand il y a plusieurs airs avec clavier obligé de suite…
J’utilise rarement le jeu de cloches pour des melodies obligées, meme si le style s’y prêtait, car c’est mieux de le conserver pour des jours de fête…”
Adlung in Mechanica Organoedi en 1768:
“Wenn eine Piece im Generalbasse mit Flötetraverse zu machen ware, und dieselbe nicht bey der Hand ist, kann die Violdigamba dazu gebraucht werden, als die ihr etwas ähnlich ist; oder man nehme das Principal 8’; will man es aber mit schärfen Registern thun, kann die Sesquialter samt der octave 4’ oder das Tertian, oder die Rauschpfeife dazu gebraucht werden. Das andere Clavier aber spielt mit der linken Hand die Accorde mit dem Gedackte; das Pedale kann die Noten mit brummen. Es können bey solchen Traversen im Generalssbasse noch andere Register gebraucht werden, sonderlich Flöten…”
“S’il faut jouer une flute traversière avec basse continue, on peut mettre la viole de gambe pour cela, car cela lui ressemble, ou alors le principal 8; si on veut jouer avec un registre perçant, on prend la Sesquilater avec l’octave 4’ ou le Tertian, ou la Rauschpfeife. Sur l’autre clavier on joue les accords de main gauche sur le bourdon 8’. La pédale peut ronronner avec cela. Pour la basse continue on peut encore utiliser d’autres jeux dans ce cas, mais plutôt des flûtes…”
Quatre ans après la publication de cet ouvrage d’Adlung, Schröter éditait Deutliche Anweisung zum Generalss=Bass”. Schröter était d’ailleurs membre de la société de Mitzler dont Bach faisait aussi partie. Pour l’organo concertato, il indique:
“§356. Wofern der Organist auf seinen Blättern eine Arie erblicket, vor welcher das (manchen Orgelspieler erschreckende) Wort: Organo concertato geschrieben; so muss er zuvor wegen folgender Hauptumstände gewisse Nachrichte haben:
- Ob nur ein Instrument mit der Orgel und dem Sänger concertiere.
- Ob bey solcher Arie noch andere concertierende Instrumente nebst begleitenden Violinen sich befinden.
- Ob die Orgel mit dem Sänger alleine concertiere.
§357. Im ersten Vorfalle, z.E. bey einer Arie mit Oboe solo und Organo concertato, ohne andere begeitende Instrumente, wird hier mir gebraucht:
im Pedal: Violon 16, Principal 8 ohne Coppel
im Haupwerk zur linken Hand: Viola di Gamba 8, Gemshorn 8
im Rückpositiv zur rechten Hand: Vox humana 8, Quintadena 8
§358. Bey dem zweyen Vorfalle nehme ich:
im Pedal: Principal 16, Violon 16, Principal 8
im Rückpositiv zur rechten Hand: Quintadena 8, gedeckt 8, Rohrflöte 4, principal 4, bisweilen auch wohl principal 2’
im haupwerk zur linken Hand: Principal 8, Gemshorn 8, Viol di Gamba 8
§359. Im dritten Vorfalle trautet man einem wahren Organisten so viel einsicht zu, dass er dass von dem Componisten vorgeschriebene Vorspiel zu der Aria so deutlich und ausdrückend vortrage, als der Hauptaffekt erfordert. Das heisst: mit wenig Worten viel Dinge gesagt. Wenn hierauf der Sänger anfängt, so weis auch ein wahrer Organist, wo und wie lange er die vorige starke Tönung mit der rechten Hand mässigen, und nachgehends wieder verstärken soll, nähmlich so, dass der Sänger von de Orgel niemals übertaubet werde, und doch die Kenner solcher bündigen Musik von der Ausarbeitung des Thematis nichts vermissen dürfen. Übrigens gehôrt hierzu wieter nichts, als ein paar fertige Fäuste und das überall nützliche Judicium practricum.”.
“Si l’organiste voit sur sa partition l’indication organo concertato (ce qui effraie certains), il doit observer les conditions suivantes:
- S’il n’y a qu’un seul instrument qui joue avec l’orgue
- S’il y a d’autres instruments qui jouent, à part les violons
- Si l’orgue joue seul avec le chanteur.
Dans le premier cas, si l’orgue doit imiter un hautbois, sans autre instrument, on utilisera:
Pédale: Violon 16, Principal 8 ohne Coppel
Mg au grand-orgue: Viola di Gamba 8, Gemshorn 8
Md sur le positif de dos: Vox humana 8, Quintadena 8
Dans le deuxième cas:
Pédale: Principal 16, Violon 16, Principal 8
Md au positif de dos: Quintadena 8, Gedeckt 8, Rohrflöte 4, principal 4, parfois aussi principal 2’
Au grand-orgue avec la md: Principal 8, Gemshorn 8, Viol di Gamba 8
Dans le troisième cas, on confie à l’organiste le soin de rendre le prélude de l’aria de sorte à en exprimer l’affect de manière adéquate. Cela veut dire: beaucoup en peu de mots. Quand le chanteur commence, un vrai organiste saura où et quand tempérer la précédente registration forte, de sorte à ne jamais couvrir le chanteur mais tout en faisant en sorte que l’amateur ne rate rien des sujets d’une musique si raffinée. Pour cela, il ne faut rien d’autre qu’une bonne paire de bras et un bonne pratique pleine de bon sens.”
- Schéma de registrations pour les cantates 35 et 170
Pour résumer les résultats de nos recherches, nous avons fait la tentative de registrer les cantates Geist und Seele wird verwirret et Vergnügte Rug’, beliebte Seelenlust.
(Suit une discussion sur la nature du son de l’orgue aujourd’hui et l’avantage des instruments anciens).
Le schema de registration correspond aux possibilités de l’orgue de St Nicolai de Leipzig.
- Conclusion
Nous avons examiné et analysé sous divers angles les cantates avec orgue obligé de J.S.Bach.
Nous restons surpris de la réception négative de ces oeuvres par A.Schweitzer, qui regrettait l’écriture à 2 voix pour orgue, et la trouvait faible et peu intéressante par rapport aux préludes et fugues.
On voit que Schweitzer ne pouvait soupçonner les modes de jeu de l’époque, plus complexes que ce qu’il pensait.
On peut s’étonner aujourd’hui, que le mouvement de la musique ancienne n’ait pas davantage pris en compte les informations d’exécution à notre disposition. L’orgue jouait au XVIIIème siècle un rôle plus central. Les petits positifs étaient absents des exécutions de cantates, et l’organiste avait un choix et une responsabilité dans le choix des registres et des couleurs sonores.
Aujourd’hui l’un des handicap est le diapason moderne des orgues, qui doit coïncider avec le diapason ancien, plus bas d’un demi-ton. Bach ayant eu les mêmes difficultés on cherchera à s’inspirer des sources pour résoudre ces questions dans l’esprit de l’époque.
Traduction, résumé en français
Yves Rechsteiner
Novembre 2010
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