Un article qui montre que la description d’Agazzari pour un ensemble d’instruments de jouer à partir d’une ligne de basse continue était bien répandue en italie dans différentes situations.
Source: Journal of the American Musicological Society, vol 18, no 3, automne 1965, pp 382-393
Traduction Yves Rechsteiner
L’une des méthodes instrumentales les plus énigmatique du début du XVIIème siècle italien se trouve dans le Del Sonare sopra’l basso con tutti li stromenti e dell’uso loro nel conserto d’Agostino Agazzari, publié à Sienne en 1607. On peut y voir l’importance de sa fameuse distinction entre instruments “comme fondement”, dont les improvisations sont principalement harmoniques, et les instruments “comme ornement”, dont les improvisations sont essentiellement mélodiques. Mais de quelles sortes de mélodies s’agit-il, et dans quel type de musique ?
Le titre même nous indique que de nombreux instruments réalisent la partie de basse. Le Breve regola per imparar’ a sonare sopra il basso con ogni sorte d’istrumento” deFrancesco Bianciardi(Sienne 1607) confirme ce fait bien accepté. La page de titre montre des illustrations de guitares, harpes, lira da braccio, trombone, psaltérion (?), théorbe, dessus de viole (ou violon), orgue, viole de gambe, cistre, lirone et luth.
Agazzari décrit clairement une pratique établie et non une nouveauté. Il ne définit même pas “conserto”; mais comme il compose lui-même de la musique sacrée et profane (motets, messes, psaumes, etc…madrigaux et un bref opéra), il peut avoir pensé à un vaste champ musical. L’intégralité de son traité a été réimprimé dans ses Sacrarum cantionum, quae binis, ternis, quaternisque vocibus concinuntur, Liber II, Opus V, Motectorum, Cum Basso ad organum, Venise 1608, musique à laquelle son texte peut sembler s’appliquer. La partie de basse continue de ses motets Sacrae laudes de Jesu, Liber Secondus (Rome 1603) porte le titre “Bassus ad Organum et Musica instrumenta”.
Adriano Banchieri écrit dans la préface de ses Ecclesiastiche sinfonie dette canzoni in aria francese, a quatro voci per sonare et cantare, et sopra un basso seguente concertare entre l’organo (Venise 1604):
“Si vous voulez les exécuter avec voix et instruments…..Je ne devrais pas négliger de dire que dans peu de temps, le Signor Agostino Agazzari, le fameux compositeur et organiste, va publier un traité qui est une oeuvre utile pour tous ceux qui jouent de la musique concertante, et qui est nécessaire à ceux qui veulent jouer librement sur la basse continue (basso seguente).”
Les Conclusio nel suono dell’organo de Banchieri contiennent la “copie d’une lettre, écrite par Agostino Agazzari à un compatriote, siennois accompli; grâce à cette lettre on arrive à une connaissance du style à observer pour concerter avec l’orgue, les voix et les instruments”.
Cette lettre, datée du 25 avril 1606 à Rome, est identique en substance aux parties correspondantes du traité d’Agazzari. Agazzari décrit sa lettre comme une “esquisse du style qu’utilisent les gentilhommes romains pour concerter les voix, les instruments à clavier, et les
Instruments à archets et cordes avec l’orgue”.
Peri, Caccini et Cavalieri étaient tous trois nés à Rome, mais Agazzari semble avoir en tête un contexte plus large que celui seul de l’opéra primitif, puisque Banchieri semble l’avoir jugé pertinent pour ses propres Conclusioni, qui s’occupe principalement de l’orgue et de divers aspects de la musique sacrée.
On peut décrire les madrigaux du XVIIème siècle comme Giovanni Priuli dans ses Third book of madrigals for five voices, in two manners: one for voices alone, the other for voices and instruments (Venise 1612). Pietro Pace Madrigals for four and five voices, a part with Sinfonia if desired, and a part without…those with Sinfonie, however, cannot be sung without playing them, wheras the others can be (Venise 1617); Giovanni Valentini’s Fifth book of Madrigals, divided into three partts: in the first, there are madrigals for three parts concerted with instruments; in the second, scherzi for six parts concerted with instrument: in the third, madrigals for six parts to be sung without instrument (Venise 1625)
Domenico Mazzochi a imprimé sa partition des Partiturae de’madrigali a cinque voci, e d’altri varij concertii (Rome 1638), de sorte à ce que “si c’est le goût de quelqu’un (différent chez chacun), d’accompagner instrumentalement des madrigaux qui ne le demande pas, il pourra le faire sans effort”. Cela ne peut s’appliquer uniquement à des doublures instrumentales des voix, puisque la partition n’est d’aucune avantage particulier. Bien plus, Mazzochi demande aux exécutants de “concerter les madrigaux avec préparation (déliberation), avant de les présenter au public”. Ils contiennent 8 madrigaux “concertants”, 8 “à chanter sans instruments”, et 8 “concertant de manière variée”.
Les instructions d’Agazzari pourraient avoir été une référence pour un madrigal “concertant de manière variée”.
Dans le domaine de l’opéra, l’orchestre étendu de l’Orfeo de Monteverdi n’est exceptionnel que pour être aussi spécifiquement décrit. Il est évidemment dans la tradition directe des Intermedii, avec lesquels les créateurs de l’opéra étaient si étroitement associés. Par exemple, dans les Intermedii de la Pellegrina de Bargagli pour le mariage de Ferdinand de Medici avec Christine de Lorraine à Florence en 1589, Caccini jouait de la harpe, Peri chantait accompagné d’un chitarrone, Cavalieri composait la musique et les chorégraphies des danses, Giovanni de’Bardi composait un madrigal et Vittoria Archilei chantait accompagnée d’un grand luth, de deux chitarroni, puis d’un luth, d’un chitarrone et d’un lirone. Les instruments employés dans ces Intermedii étaient de petits et grands luth, chitarroni, lira (da braccio), arciviolata lira, harpes, psaltérions, cistres, mandolines, guitares espagnoles, guitares napolitaines, violons, violes sopranino, ténors de violes, basses de viole, double basse de viole, viola bastarda, viola bastarda basse, flûte traversière, cornets, trombones, trombones basses, cembalino adornato di sonagli d’argento (? Cloches ou tambourins ornés de clochettes dorées), organo di pivetti (régale ?), et trois orgues de chambres en bois qui jouaient dans toutes les pièces. Les instruments étaient combinées des manières les plus variées, et dans les madrigaux ils étaient choisis en fonction de leur pertinence au texte.
Les premiers opéras n’étaient pas d’abord imprimés comme matériel pour de futures exécutions, mais comme tribut au mécène et comme traces de grands évènements qui ont eu lieu. Dans l’Orfeo, publié deux ans après la première exécution, la plupart des indications d’instrumentation sont rédigées au passé. L’Euridice de Peri se termine sur cette note: “et cela a été exécuté dans cet ordre, comme décrit”. Cela laisse ouvert la possibilité qu’à une autre occasion cela aurait pu être exécuté différemment.
Ce tribut, publié ainsi, peut être plus ou moins complet. Peri constate simplement: “derrière la scène, la musique était exécutée par des gentilhommes illustres par leur noble lignée et leur excellence en musique” sur des clavecin, chitarrone, une grande lira et un grand luth.Mais ceci ne peut pas avoir été l’orchestre complet. Il y a plusieurs Ritornelli pour un ou deux dessus, en plus de la basse continue. Il y a la mystérieuse indication “triflauto” sur une section de 8 mesures pour deux dessus et basse continue. Il y a probablement eu un orchestre typique pour les Intermedii, comprenant ce qu’Agazzari aurait appelé des instruments “d’ornement”, et des instruments “de fondement”.
Nous savons seulement que de nombreux instrumentistes prirent part au Rapimento di Cefalo de Caccini, présenté à Florence en 1600, comme probablement pour l’Euridice, car il inclut dans ses Nuove Musiche, entre autres extraits, “le choeur final du Rapimento di Cefalo, concerté entre voix et instruments par 75 personnes disposées en demi-lune, comme la scène le permettait…”.
La préface de la Representatione, probablement d’Alessandro Guidotti, parle “d’instruments plus ou moins nombreux suivant l’endroit, suivant qu’il s’agit d’un théatre ou d’une salle”, qui “si elle devait être proportionnée à cette récitation en musique, ne devrait pas contenir plus de mille personnes”. Mille personnes ! Seulement quelques instruments de continuo sont mentionnés dans la préface générale; pourtant les instructions qui suivent contiennent ce conseil: “Au début, avant que le rideau ne tombe (ne se lève ?), il serait bon d’avoir une pièce de musique complète, avec les voix doublées et une grande quantité d’instruments. Le madrigal no 86 “O signor santo et vero”, qui est pour 6 voix, peut très bien servir à cela”. Les Sinfonie et Ritornelli peuvent être jouées par un grand nombre d’instruments; un violon qui jouerait exactement la partie de soprano serait du meilleur effet.
La fin peut être faite de deux manières: avec, ou sans danse. Si on ne veut pas de danse, alors on doit finir avec le no 91, pour 8 voix, en doublant les voix et les instruments le plus possible…
Si on veut finir avec une danse…Les vers (stanza) de la danse doivent être chantés par tout le monde, derrière et sur la scène. Et tous les instruments, le plus possible d’entre eux, doivent jouer les ritornelli.”
Les Sinfonie et Ritornelli ont une ou deux parties de dessus, une ou deux parties d’alto, un partie de ténor, et la basse continue. La “violon” doit donc être mentionné à titre d’exemple.; d’autres instruments mélodiques sont aussi requis. L’une des copies conservée a l’indication “Tiorba” écrit sur la première page, mais “Tace” sur toutes les pièces pour voix seule. La préface générale constate simplement “qu’une double lira, un clavecin, un chitarrone ou théorbe, comme ils disent, font un excellent effet ensemble, comme le font un orgue doux et un chitarrone. Le Signor Emilio demandait qu’on change les instruments en conformité avec le sentiment des chanteurs”. En résumé, l’instrumentation était élaborée pendant les répétitions, et là encore, on peut prendre en compte le traité d’Agazzari.
Marco da Gagliano dans la préface de son Dafne (Florence 1608), demande aux instrumentistes d’ “être sûr que l’harmonie ne soit ni trop forte ni trop faible, mais soutienne le chant sans empêcher la compréhension des mots”. Cela peut avoir supposé de varier les instruments de temps en temps. “Avant que le rideau ne tombe (ne se lève ?), pour rendre l’auditeur attentif, on doit jouer une sinfonia composée de divers instruments qui servent aussi à accompagner les choeurs et jouer les ritournelles.”
Quand Philippo Vitali, dans l’introduction de son Aretusa (Rome, 1620), parle de “chanteurs accompagnés selon les besoins de l’harmonie, par deux clavecins, deux théorbes, deux violons, un luth et une viole de gambe”, il pense probablement à varier le nombre d’instruments. (Aucun instrument n’est mentionné dans la partition).
Dans toutes les partitions d’opéra, on a plusieurs cas possibles:
- Les parties instrumentales sont écrites et les instruments sont désignés par leur nom.
- Les parties instrumentales sont écrites, mais les instruments ne sont pas désignés (ce qui est très courant, surtout pour les Sinfonie et Ritornelli)
- Des portées sont laissées vides pour les parties instrumentales, mais elles ne sont jamais remplies (comme dans le manuscrit vénitien de l’Incoronazione di Poppea (1642) où la plupart des Sinfonie et Ritornelli montrent des portées vides au dessus de la basse.
- Aucune indication sauf la partie de basse continue, mais des instruments sont probablement supposés
- On mentionne des instruments, mais sans parties musicales
- Les danses sont mentionnés mais seulement en basse continue, ou alors aucune musique n’est donnée.
Ainsi, dans la Liberazione di Ruggiero de Caccini (Florence 1625), parmi les nombreux Ritornelli écrits à 3 ou 4 parties, un est “joué par trois flûtes”, une autre pour “4 violes, 4 trombones, orgue en bois et clavier”; suit un choeur à 5, “concerté avec 5 violes, archiviol, orgue de bois, et clavier”. Sous le choeur suivant, à 5, est écrit: “la basse continue joue”, ce qui peut à nouveau vouloir dire de nombreux instruments. Mais c’est le seul choeur en style concertato, et il peut avoir été délibérément mis en évidence, comme une exception, pour être accompagné par des instruments “de fondement” seulement.
Les Ritornelli du 4ème intermède de l’Aurora ingannata de Girolamo Giacobbi (1607) n’ont qu’une basse continue.La partition du Flora de Marco da Gagliano (Florence 1628), comme beaucoup d’autres, contient des Sinfonie et Ritornelli écrites mais non spécifiques; l’acte IV comprend “un choeur de tempête est répété ici, il faut jouer”, mais il n’y a pas de musique ni de mention d’instruments.
Le Palazzo Incantato de Luigi Rossi (1642) commence par une Sinfonia notée pour basse continue seule. Dans l’Eumelio (Venise 1606) Agazzari imprime les voix sur une basse non chiffrée, les choeurs n’ayant aucun accompagnement; les Ritornelli consistent en quelques mesures de continuo. On peut penser que le compositeur dirigeait une parti importante d’improvisation, en droite ligne du traité, dans son exécution à Rome en 1606.
Parmi les manuscrits de la Collection Contarini, à la bibliothèque Marciana à Venise, la Didone de Cavalli (exécutée en 1641) contient l’indication “tous les instruments entrent” à un endroit où aucune partie instrumentale n’est notée. Un air “aria avec tous les instruments”, est accompagnée de la basse continue seule.Pagliardi ne donne dans Numa Pompilio (1674) aucune musique pour “les trompettes jouent”. L’Oronte di Menfi de Franceschini (1676) n’a qu’une basse continue pour de nombreuses parties instrumentales.Legrenzi ne donne également qu’une basse pour la Sinfonie de l’acte III de Totila (1677).
Des exemples similaires abondent et la plupart des danses de l’opéra, même là où elles sont mentionnées, n’ont pas de musique (occasionnellement ont trouve une partie de basse pour un “Ballo” ou “Balletto”).
Le Pomo d’oro de Cesti, bien que présenté à Vienne en 1667, puise ses racines dans l’opéra vénitien. Dans une ritournelle, les parties de dessus ne sont données que pour la première mesure. Lorsque la ritournelle revient, sa notation est réduite à la basse continue.Le S.Alessio de Stefano Landi (Rome 1634) commence avec une Sinfonie pour premier, second et troisième violon (de la famille des violon=alto); les harpes, luth, théorbes, violoncelle sur une seule ligne; la basse continue pour clavecin. L’orchestre est indiqué pour les Ritournelles, danses et choeurs.
L’Erminia sul Giordano (Rome, 1637, juste trois ans avant) commence avec une Sinfonia pour premier, second, troisième et quatrième violon (i.e, le quatuor) et “basse continue pour tous les instruments”; l’orchestre est indiqué pour les Ritornelli mais pas pour les choeurs, où il est peu probable qu’il n’ait pas joué. Dans les deux opéras, les arias et récitatifs ont un accompagnement écrit pour basse continue seule, mais il est probable que certains aria aient été accompagnés par l’orchestre.
C’est probable pour les raisons suivantes:
Dans deux des cinq manuscrits, le Prologue du Palazzo Incantato de Luigi Rossi est noté avec un chant et basse continue. Dans les trois autres il y a un accompagnement à 7 parties avec la basse continue. Dans le manuscrit Chigi cependant, les 7 parties s’arrêtent au Folio 6 avec ce commentaire “avec l’accompagnement habituel”, après quoi la basse continue suit jusqu’à la fin du Prologue. La source que j’ai consulté personnellement en entier montre les parties du récitatif du Prologue avec une basse chiffrée, et les parties d’aria avec les 7 parties. Une distinction similaire apparaît dans tout l’opéra.
Dans le même opéra, des parties séparées (généralement sept) sont écrites pour certaines ritornelli et danses; pour d’autres juste le dessus et la basse, de sorte qu’il faut compléter les parties médianes; l’extrait suivant de l’Acte I, scène 10, est en fait marqué “Ritornello avec tous les instruments”:

Le fait que qu’une masse d’instruments de continuo aient été utilisés tard dans le XVIIème siècle est confirmé par les payements de trois clavecinistes et deux théorbes parmi les musiciens de l’orchestre de Venise pour la saison de 1665.
Ceux-ci correspondent aux instruments de fondement d’Agazzari, mais qu’en est-il de ses instruments d’ornement ? Que devaient faire les violons, flûtes, cornets ou trompettes, dans les parties non spécifiées des opéras, ou dans les parties manquantes ? Jusqu’à quel point les indications d’Agazzari s’appliquent-elles à ces dates plus tardives ?
On remarque d’abord une forte ressemblance entre Agazzari et l’essai de Pietro della Valle, della Musica dell’età nostra, écrit vers 1640:
“Jouer en compagnie d’autres musiciens ne requiert pas les artifices du contrepoint autant que les grâces de l’art; si le musicien est bon, il n’a pas à insister sur l’étalage de son art, mais plutôt à s’accommoder aux autres…Ceux qui chantent et jouent bien doivent se donner du temps les uns les autres, et ils doivent rivaliser en grâce et imitations plutôt qu’en de trop subtiles artifice de contrepoint. Ils vont montrer leur art en sachant répéter correctement et rapidement ce qu’un autre vient de jouer; et en laissant de la place aux autres en leur laissant l’opportunité de répéter ce qu’ils viennent de faire. Ainsi, d’une manière variée et non moins riche, bien que ne réclamant pas autant de science profonde, ils feront connaître aux autres leur propre valeur. Cela est pratiqué aujourd’hui non seulement par les meilleurs, mais aussi par les musiciens ordinaires; ils font d’ailleurs si bien que je ne sais pas comment les musiciens du passé, que je ne n’ai pas connus, auraient pu faire mieux. Lorsqu’on joue en compagnie de chanteurs, la même chose doit s’appliquer aux instruments, et ce d’autant plus: car les instruments, lorsqu’ils servent les voix, qui sont les maîtres de la musique, ne doivent pas avoir d’autre but de bien accompagner celles-ci….Jouer pour soutenir un choeur doit être de la manière la plus simple de toute, sans aucun artifice de contrepoint, avec seulement une bonne concordance et des accompagnements jolis, qui doivent suivre les voix avec grâce.”
Della Valle, qui parle visiblement comme Agazzari de parties plus ou moins improvisées, exige de l’instrumentiste “de rivaliser avec grâce et imitations plutôt qu’en de trop subtiles artifices de contrepoint”. Des phrases similaires d’Agazzari exigent:
“Comme un ornement sont les instruments qui rivalisant et faisant des contrepoints, rendent l’harmonie plus agréable et sonore…Les instruments qui sont combinés avec les voix de diverses manières, ne sont ainsi combinés que pour aucune autre raison que celle d’orner et embellir, d’asaisoner le concert. Comme le premier groupe (les instruments de fondement) devaient maintenir le ténor (la basse continue ?) avec une harmonie ferme, les autres (les instruments d’ornement) doivent la fleurir avec une variété de beaux contrepoints, en fonction des possibilités de chaque instrument, et en rendant la mélodie agréable…Les luths ne doivent pas se contenter de faire des traits et des diminutions du début à la fin, spécialement en compagnie d’autres instruments qui font de même, de sorte que l’on entende rien d’autre que soupe et confusion….Il doit faire quelques fois des accords ou des répétitions douces, parfois des passages larges ou parfois plus serrés, puis avec des bourdons; ou encore avec des motifs trompeurs, en répétant et en montrant les mêmes fugues sur diverses notes et à différents endroits…en prenant soin de ne pas se gêner les uns les autres, mais en laissant du temps à chacun…Mais chaque chose doit être faite avec prudence: car si des instruments sont seuls dans un consort, ils doivent tout faire et agrémenter le concert; mais s’ils sont en compagnie, ils doivent prendre garde aux autres, laissant de la place; s’ils sont nombreux, chacun doit attendre son tour.
Le traité de Doni Trattato della musica scenica, écrit vers 1635, est une autre source inestimable d’informations de première main. Il se plaint que:”l’usage d’instruments de corps, comme ils les appelle (c’est-à-dire les instruments qui produisent plus de consonances) procède de l’habitude des compositeurs de s’épargner l’ennui d’écrire expressément des pièces instrumentales. Une tablature d’une simple basse continue suffit.
(appendix): Mais ce superflu excès d’ornements (des chanteurs) pourrait être évité très bien en écrivant les Sinfonie (dans ce contexte, les parties d’ornement).
(texte): Dans cette habitude d’utiliser autant de sorte d’instruments pour remplir, comme ils disent…cette multitude d’instruments, comme ils sont utilisés, rendent si peu de son, qu’ils peuvent à peine être entendu par ceux qui sont près de la scène. Le résultat est que leur son réussit au mieux à atteindre les oreilles des auditeurs du milieu de la salle. Si le son était assez puissant pour aller au fond de la salle, il ne ferait aucun doute qu’il couvrirait excessivement les voix (qu’on entend d’habitude peu); et ceux qui sont le mieux placés trouveraient cela à peine supportable.
(Aux répétitions), les souffrances, les dégoûts, les angoisses et les plaintes que le pauvre musicien ressent en devant arranger ensemble autant de musiciens et de sons dans une si petit place est à peine croyable. Ainsi, avec beaucoup de perte de temps et de confusion, ils doivent arranger les instruments, distribuer les lampes, ranger les chaises, monter les pupitres, et accorder les instruments. Et Dieu seul sait, si après les avoir bien accordés, il ne doivent pas recommencer tout le bazar depuis le début à cause du nombre de cordes, et de ce qu’elles se détendent à cause des lampes, ou en les réaccordant pendant que les autres jouent. Sans parler de l’ennui et du temps que cela prend de faire autant de copies de la tablature de la basse, et des autres troubles que cause tout ce désordre, introduit sans aucune raison.
Même en mettant de côté les exagérations de ce teste, mous avons là une description inhabituellement immédiate et convaincante. Le mot “tablature” (intavolatura) signifie dans les discussions d’époque sur la basse chiffrée, une réduction des parties vocales, ou simplement l’écriture des notes des accords. Luigi Torchi croyait que les instruments mélodiques improvisaient leurs parties ornementale à partir de telles harmonisations écrites, chacun suivant la ligne qui lui convenait le mieux, et que c’était ce que Doni voulait dire ici.Torchi avancait les arguments suivants:
- la division entre instruments et fondement de d’ornement était clairement comprise, les ornements étant délégués (pendant les répétitions) à des instruments particuliers.
- Les répétitions, comme Doni l’atteste, étaient nombreuses et précises (La lettre de Monteverdi à Alessandro Striggio du 9 janvier 1620 constate que l’Arianna exigea cinq mois de répétitions intensives)
- Le compositeur était d’habitude présent à la première représentation (et dirigeait la répétition), en indiquant les ornements souhaitables et en modérant les instrumentistes en cas d’excès.
Une phrase curieuse apparaît dans la partition du Dafne de Marco da Gagliano (Florence 1608). La même phrase est insérée trois fois dans l’air d’Apollon “Non curi la mia pianta”. L’air a une forme strophique, et cette phrase apparaît avant chacune des strophe:

De manière évidente cette phrase était prévue pour une exécution instrumentale. De manière tout aussi évidente, elle n’était pas prévue pour les seuls continuistes, qui n’auraient pas eu besoin d’une réalisation harmonique sur la portée du haut. Il est possible que nous avons là une exemple de la “tablature de la basse”, mentionnée par Doni. Il est à peu près inconcevable que la phrase ait été exécutée comme trois accords, car de telles répliques d’accords n’étaient pas utilisés pour séparer les sections d’un air. Les Ritornelli par contre servaient exactement à cela. Si ces trois accords représentaient la base sur laquelle on improvisait les mélodies, le résultat n’aurait été rien d’autre qu’une ritournelle servant sa fonction ordinaire. Cela pouvait être une partie de ce qu’Agazzari avait en tête lorsqu’il demandait à ses instrumentistes d’ornement de “composer de nouvelles parties, des passages et des contrepoints nouveaux et variés sur la même basse”.
Une autre situation similaire se présente dans la partition du Palazzo incantato de Luigi Rossi (1642). Le récitatif de Prasildo dans l’acte I, scène 12 est interrompu par une phrase marquée “ici tous les instruments jouent”:

Une deuxième et une troisième interruption est parquée “on joue”:


Les passages ci-dessus ont été copiés exactement comme ils apparaissent dans le manuscrit du Royal College of Music MS 546. Ecrits ainsi, ils n’ont pas beaucoup de sens. On doit les considérer comme des points de départ pour les exécutants.
Aussi longtemps que l’opéra restait une affaire privée et de la cour, les chanteurs et les instrumentistes étaient des employés réguliers, avec une large possibilité de préparer et répéter leurs parties. Lorsque l’opéra pris un caractère plus public (sans qu’on perde de vue sa dépendance financière de la noblesse), les chanteurs et les instrumentistes devaient être recrutés dans différentes villes, et de compagnies itinérantes nouvellement crées. Moins de temps de répétitions était alors disponible. Les producteurs tendaient à concentrer leurs efforts à trouver les chanteurs pour les premiers rôles. Si le choeur et l’orchestre recevait moins d’attention, c’était probablement pour des raisons administratives ou pour des questions de goût. Bien que les musicologues continuent de penser que l’orchestre était réduit pour des raisons financières, aucune preuve n’a été avancée, et aucun esprit d’économie semble avoir motivé les patriciens du XVIIème siècle vénitien. Ils dépensèrent de grandes sommes d’argent pour construire et maintenir des maisons d’opéra, pour payer des chanteurs, et pour goûter des mises en scènes et des décors d’un grand luxe.
Il est assez certain que les orchestre pour les opéras vénitiens de la fin du XVIIème siècle étaient plus grands et plus variés que ce qui était généralement supposé. Quand le Nerone de Pallavicini était produit au théatre S.Giovanni Crisostomo en 1679, le Mercure Galant rapporte que “quarante instruments, parmi les meilleures que l’on pouvait trouver, jouèrent la Sinfonie…une quantité de toutes sortes d’instruments étaient présents: flûtes à bec, trompettes, tambours, violes, violons”.
La collection Contarini, déjà citée au-dessus (112 manuscrits d’opéras produits à Venise entre 1639 et 1692) demande les instruments suivants: clavecin, orgue, violons, violes, trompettes, flûtes, bassons, et tambours.Des manuscrits conservés à la Bibliothèque Nationale de Vienne montrent que des cors, des cornets, des trombones, et des théorbes étaient utilisés dans l’opéra vénitien.
L’exécution du Pomo d’Oro de Cesti à Vienne en 1667 a déjà été mentionnée. Il est vrai que des circonstances particulières y préludaient et qu’à cette occasion aucune dépense ne fut épargnée. Mais, bien que Cesti ait commencé sa production opératique à Vienne et qu’il y ait maintenu des liens, le Pomo d’Oro doit refléter dans une certaine mesure les pratiques courantes de l’opéra vénitien. La partition demande des cordes des deux familles des violes et des violons, (dans toutes les tailles), des flûtes, des trompettes, des cornets, des trombones, des bassons, clavecin, régale, orgue, graviorgano (un orgue positif comme l’organo di legno de Monteverdi ?).
Les instruments sont désignés avec soin, i.e. les flûtes, puis les violes et le graviorgano, puis le clavecin dans une scène pastorale (Acte II, scène 9); les trompettes avec un choeur de célébration (Prologue) et dans des scènes de bataille et de victoire (Acte II, scène 14 et acte IV, scène 12). L’acte I, scène 1, mis en scène dans le monde souterrain, est instrumenté pour 2 cornets et 2 trombones, avec une basse continue constituée d’un trombone, d’un basson et de la régale: une combinaison étonnement similaire avec celle utilisée par Monteverdi dans la scène du monde souterrain de l’Orfeo. Dans l’acte IV, scène 1 du Pomo d’oro, les violes et le graviorgano jouent quand Ennone s’assoupit. Dans l’Orfeo, Caronte s’assoupit au son d’une Sinfonia pour cordes et orgue en bois. Ces comparaisons sont suggestives. D’autres combinaisons instrumentales étaient-elles associées à des situations dramatiques particulières ? Y a-t-il eu, en fait, une entière tradition d’orchestration spécifique à l’opéra du XVIIème siècle ?
En résumé, nous avons une quantité de preuves fragmentaires tournant autour de deux grandes lacunes dans notre connaissance: le type de musique auquel s’adresse le texte d’Agazzari, et la musique instrumentale manquante dans l’opéra su XVIIème siècle. Ne serait-ce que la même lacune, vue de points de vue opposés ?
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